Lion-Verseau : la fleur et le bouquet
Du Cancer au Lion, le bourgeon s’ouvre et la fleur s’épanouit en corolle. Le Lion est ainsi le signe de l’épanouissement, de l’effloraison. Une autre manière de parler du Lion en tant que quintessence, c’est de dire qu’il est le signe où l’on est censé se révéler dans la fleur de soi. Sous les auspices du Lion, tout parle de floraison, de couleur, d’éclat et l’on reconnaît souvent le natif de ce signe à son visage qui rayonne, à son sourire qui réchauffe comme un soleil. Signes voisins, le Cancer et le Lion s’apparient tous deux au mythe de Narcisse et au mythe de l’Épiphanie du Soi. Dans ce secteur du Zodiaque, le Soi apparaît à l’enfant dans la mesure où il est rendu présent par un autre, mais, a contrario du Cancer, qui cherche à attirer les regards, le Lion les force à l’attention en s’imposant à eux. Quand il entre dans une pièce, c’est comme s’il en éclairait les moindres recoins ; quand il prend la parole, c’est comme si le roi allait parler et chacun retient son souffle.
Dans le Zodiaque, le signe du Lion correspond à cette étape où l’enfant a besoin d’étayer sa personnalité naissante en s’appuyant sur le regard chaleureux et encourageant de son entourage. Les sourires qui l’accueillent, les rires qui lui font la fête, les mots qui le félicitent sont autant de témoignages qui lui donnent confiance dans sa valeur. La façon avec laquelle est célébrée la naissance d’Apollon, dans les vers d’Homère, est tout à fait significative des besoins spécifiques de l’enfant Lion et, de façon générale, des besoins de chaque enfant dans la sphère du Lion.
Bientôt la terre sourit de joie ; le dieu paraît à la lumière ; toutes les déesses poussent un cri religieux. Aussitôt, divin Apollon, elles vous lavent chastement. Elles vous purifient dans une onde limpide et vous enveloppent dans un voile blanc, tissu délicat, nouvellement travaillé qu'elles nouent avec une ceinture d'or. Thémis, de ses mains immortelles, lui offrit le nectar et la divine ambroisie. Léto fut alors comblée de joie d'avoir enfanté ce fils vaillant qui porte un arc redoutable[1].
Voilà un sens de la fête et de la célébration qui dit bien le Lion. Tout y est. Le sourire de la terre qui accueille l’enfant et les cris de célébration des déesses. Le voile blanc dont on le recouvre et la ceinture d’or dont on le ceint. Et puis la joie de la mère et sa fierté d’avoir enfanté un fils qui porte les attributs solaires : l’arc qui lance ses flèches comme le soleil qui darde ses rayons.
D’un point de vue psychologique, il est saisissant d’observer à quel point Apollon est investi de Soleil, dès sa venue au monde, et de noter la continuité qu’il y a entre l’enfant, dont la naissance est célébrée, et le dieu, que les Grecs vénéreront comme une figure solaire. Dans le mythe d’Apollon, la reconnaissance de la nature solaire de l’Enfant est indissociable de la destinée qu’il va accomplir en devenant le conducteur du char du soleil. Mis en valeur par son entourage, Apollon connaîtra sa véritable valeur : il la révélera sous la forme de l’or solaire.
Dans le Zodiaque, le signe du Lion nous met à l’épreuve de la mise en valeur de soi ou, si vous préférez, du fleurissement de soi. Du Cancer au Lion, la perle est censée sortir du coquillage. L’heure est venue de sa mise en valeur : elle doit prendre le risque de s’offrir aux regards. Le retrait n’est plus de mise. Il est temps de sortir de sa réserve et de se risquer à la lumière. Il s’agit d’oser l’expression de soi-même et de mettre en valeur ses dons et ses talents. En bref, de montrer qui l’on est en adoptant en toutes choses la position souveraine que symbolise le roi des animaux.
Tandis que le Lion arrête son regard sur le Soleil, c’est sur Ouranos, le Ciel Étoilé, que se porte celui du Verseau. Faisant suite au Cancer, le Lion est attentif à l’individu, dans ce qu’il a de particulier. De son côté, le Verseau hérite du sens de l’ensemble – avec son corollaire, la responsabilité à l’égard de la collectivité – que le Capricorne a reconnu comme pierre angulaire de sa vocation. Ainsi, le point de départ du Verseau n’est-il pas celui de l’individualité, mais celui de la collectivité. Toujours, il pense à un monde meilleur et il cherche à insuffler des idées propres à transformer les conditions sociales du milieu dans lequel il se trouve impliqué.
Chaque signe du Zodiaque sert la création, selon ses qualités propres, mais trois d’entre eux ont sans doute une vocation plus spécifique de service. Il s’agit de la Vierge, du Verseau et des Poissons. La Vierge se rend utile dans son propre environnement, en accomplissant de multiples tâches qui facilitent et qui allègent la vie de son entourage. Plus particulièrement, il s’agit de l’administrateur ou du gestionnaire qui doit régler une multitude de problèmes. Sur un autre mode, il s’agit des personnes qui travaillent dans le domaine des soins et qui s’efforcent de soulager concrètement les souffrances.
Cette notion de service est également consubstantielle au signe des Poissons. Dans l’esprit de celui-ci, il ne s’agit pas tant de trouver une réponse immédiate aux préoccupations du quotidien, ou aux souffrances physiques, que d’entendre les blessures de l’âme et de leur offrir le baume guérisseur du silence, de la prière et de la compassion. Avec la Lune Noire en Poissons, Thérèse d’Avila déclarera ainsi : «L’amour, seul, guérit.» Sous sa forme exclusive, voilà une affirmation typique de la Lune Noire, qui prétend détenir la totalité de la vérité. Certes, la Lune Noire en Poissons a bien raison d’affirmer le pouvoir guérisseur de la compassion, mais elle témoigne de son incapacité à prendre en compte la vérité des autres signes, dès lors qu’elle prétend avoir réponse à tous les maux. À ce jeu où chacun se trouve aveuglé par son propre don de lumière, la Lune Noire en Verseau ne pense-t-elle pas, de son côté, que la conscience, seule, est à même de guérir ? Avec une conjonction entre Jupiter et la Lune Noire, Rabelais défendra, quant à lui, la suprématie de la planète jovienne et il élèvera la joie au rang de panacée. C’est à lui que nous devons cette affirmation fameuse : «Les joyeux guérissent toujours.»
Revenant à la notion de service, nous pouvons dire que le Verseau conçoit le service aux autres en pensant autrement le monde issu du Capricorne. Il sert l’humanité en remettant en cause les systèmes en place et en proposant des réformes susceptibles de promouvoir la solidarité et la fraternité. Nous verrons plus loin que la notion d’engagement social est centrale dans la psychologie individuelle d’Alfred Adler, dont le thème présente précisément un amas en Verseau – avec le Soleil, Mercure et Mars – ainsi que la planète Uranus à l’Ascendant-Cancer.
Dans le prolongement de l’axe Cancer-Capricorne, le Lion et le Verseau se situent dans une dialectique entre le particulier et l’universel. En termes imagés, disons que le Lion s’attache à la fleur, tandis que le Verseau s’en tient au bouquet. C’est l’ensemble floral qui intéresse celui-ci ; c’est l’arrangement et l’architecture d’ensemble qu’il garde à l’esprit. C’est la créativité interactive du groupe qu’il cherche à stimuler, plutôt que l’émergence de leaders. C’est la réussite collective qu’il considère, et non la consécration de quelque élite, terme qu’il abhorre, d’ailleurs, parce qu’elle lui rappelle trop une organisation pyramidale de la société qu’il a pour vocation de remettre en cause.
Tout entier consacré à l’idée du fleurissement – d’un enfant, d’une œuvre ou de lui-même – le Lion tend à oublier le bouquet et l’idée de l’épanouissement collectif qu’il suggère. Signe de l’exil du Soleil, le Verseau court, de son côté, le risque opposé. Se mettant au service du groupe ou faisant la promotion de valeurs fraternelles, il manque de se considérer dans sa propre fleur et d’honorer les valeurs d’Apollon. À l’instar de Prométhée, qui ne s’aime guère, il s’oublie lui-même, au sens qu’il ne sait pas investir son propre fleurissement. Défenseur infatigable des opprimés, il peine à considérer ses propres chaînes. Parlant au nom de ceux qui n’ont pas droit à la parole, il ne sait guère s’exprimer en son propre nom. Tournant le dos au Lion, il risque de rejeter la couronne et la royauté dont le cinquième signe est le garant. L’occultation de la fleur, chez le Verseau, et la non prise en compte du bouquet, de la part du Lion, génèrent des ombres spécifiques que nous circonscrirons plus précisément le moment venu.
[1] HOMÈRE, Hymnes, Les Belles Lettres.