LA LUNE NOIRE

Apogée et Périgée de la Lune

4ème de couverture

Dans cette étude, l’auteur s’emploie d’abord à une clarification, là où la prise en compte d’une triple position zodiacale de la Lune Noire — moyenne, corrigée et vraie — engendre différentes confusions. Il situe ensuite la Lune Noire sur le plan astronomique en montrant qu’elle est liée au mouvement de la Lune qui s’éloigne et se rapproche de la Terre en atteignant alternativement son apogée et son périgée.

À partir de là, il établit différents repères d’interprétation pour l’interprétation de l’axe de la Lune Noire selon sa position dans le Zodiaque. Il analyse enfin la Lune Noire dans les rapports qu’elle entretient avec les Luminaires et les Planètes. 

extrait

La Lune Noire en Capricorne dans le thème de Vigny

Je propose d'avancer pas à pas dans l'interprétation de la Lune Noire en commençant par questionner d'un peu plus près ce qui se joue sur l'axe apogée/périgée à partir de quelques thèmes de naissance. Nous allons d'abord mettre en lumière la situation du sujet qui manque de prendre en compte les valeurs du périgée, parce que celles de la Lune Noire représentent pour lui ce qu'il y a de plus inspirant et de plus désirable. Afin de circonscrire l'enjeu, nous allons commencer par évoquer le cas d'Alfred de Vigny resté dans la littérature comme le poète du stoïcisme, lequel se rattache dans son thème à la Lune Noire en Capricorne.

Comme idéal de vie inspiré par la Lune Noire, le stoïcisme ne doit pas être confondu avec la position d'un Soleil en Capricorne, par exemple, qui s'illustre à travers son sens des responsabilités ou sa fiabilité dans les engagements, par exemple. Ni avec la Lune en Capricorne qui sait ou qui doit prendre une certaine distance avec les remous affectifs et les états d'âme. Il ne tient pas à une dominante saturnienne où le sujet cherche à faire face aux difficultés de l'existence ou qu'il se sent dans l'obligation de tenir lieu d'étayage pour autrui, sinon de porter le monde sur ses épaules. Il ne saurait encore moins être assimilé à une conjonction entre Saturne et le Nœud nord, qui réclame un effort particulier pour réorienter l'existence à travers une meilleure prise en compte de ce que signifie la planète. Cette conjonction, on la trouve dans le thème de Vigny, mais ce n'est pas elle qui inspire le stoïcisme. Ce qui relève du Nœud nord ne représente en aucun cas ce qui soulève l'imaginaire depuis le commencement de l'existence, mais tout au contraire la gueule menaçante du Dragon que l'on préférerait ne pas voir de trop près.

La Lune Noire nous met en résonance avec quelque chose qui ne supporte guère la relativisation. Elle comporte ceci d'intran-sigeant, qu'elle désigne ce que l'on devrait être ou faire pour se hisser à la hauteur de ce qu'elle désigne. À lire les grands poèmes stoïques de Vigny, on voit bien ce que le poète sacralise et ce qu'il se donne comme philosophie de vie. Il voudrait être le Loup qui se tient immobile et silencieux devant les fusils des chasseurs en attendant la mort. Jésus au mont des Oliviers, qui est capable de faire face, tout seul, au Golgotha qui est devant lui, alors que ses compagnons sont plongés dans le sommeil. Moïse, puissant et solitaire, guide de son peuple qu'il conduit vers une terre promise qu'il ne verra jamais. À ce titre de pionnier, on notera que le Soleil en Bélier, dans le thème du poète, se situe au carré de la Lune Noire en Capricorne.

La quête du stoïcisme à tout prix a pour contrepartie la mise en place de défenses massives contre tout ce qui pourrait écarter le sujet du but poursuivi. Pour utiliser un concept introduit par Ferenczi, elle suppose que “l'enfant dans l'adulte“ ne soit jamais pris en compte. Du point de vue de l'axe apogée-périgée, cela signifie que le triomphe du Capricorne implique la mise à ban du Cancer. C'est pourquoi je souligne que toute idéalisation suppose toujours une certaine diabolisation. Dans le cas de Vigny, la voix du poète nous est restée et il suffit de se rappeler l'enseignement qu'il retient de La Mort du Loup pour entendre ce qui est jugé indigne et misérable.

Gémir, pleurer, prier, est également lâche.                                                                                                                                                                          Comme moi, souffre et meurs sans parler[1].

 L'idée qu'il ne sert à rien de s'apitoyer sur soi, mais que l'on gagnerait à se redresser pour faire face à ce que l'on vit, quitte à serrer les dents, relève d'un discours saturnien qui place le principe de réalité au-dessus des considérations humaines. Quand la Lune Noire entre en jeu, le propos est d'ordre religieux, philosophique ou idéologique, parce que le sujet aurait le sentiment de trahir son amour, s'il manquait à son culte.

Dans l'esprit de Vigny, qui retient la leçon de la mort du Loup, parce que c'est la seule qui compte à ses yeux, qu'est-ce qui doit être tu, jusqu'au dernier souffle ? D'un point de vue astrologique, c'est d'abord le périgée en Cancer qui n'a pas droit à la parole et, avec lui, l'enfant qui prie pour avoir de l'aide, qui pleure et qui gémit, parce qu'il se sent seul au monde.

Dans ce qu'elle a d'emblématique, la position de Vigny nous donne un premier repère pour questionner l'axe apogée/périgée. Dans son cas, on peut parler d'un enfermement dans les mémoires de la Lune Noire en Capricorne, de la cristallisation d'un idéal de soi avec lequel le sujet devrait coïncider. Le poète philosophe obéit ainsi à une vision unilatérale de lui-même et de l'existence, cette unilatéralité faisant le jeu de la répétition pour entraver l'élargissement de la conscience et la mise en jeu du processus d'individuation. Le sujet peut assouplir sa position et s'affranchir progressivement de l'unilatéralité, dans la mesure où il est capable de prendre en compte de l'altérité, qu'il s'agisse du prochain ou qu'il s'agisse de l'autre en soi que Jung a décrit essentiellement à travers les catégories de l'Ombre, de l'Anima ou de l'Animus et du Soi.

Dans le cas de la Lune Noire, le périgée lunaire constitue l'altérité fondamentale qui se dresse face à l'apogée. À la prendre en compte, le sujet devrait reconsidérer une position qu'il ne peut pas envisager de questionner, parce qu'elle constitue son programme idéal. Pour Vigny, le périgée en Cancer constitue ainsi une menace qu'il faut combattre par le recours à des défenses haineuses qui sont simplement la contrepartie de l'érotisation dont fait l'objet l'apogée lunaire en Capricorne. C'est ainsi qu'il peut faire état de son mépris, quand il évoque la lâcheté de celui qui prie, pleure ou gémit.

J'utilise ici l'idée d'érotisation en référence au dieu de l'amour et j'ouvre ici une petite parenthèse mythologique. Qui est Éros ? Sa puissance se donne à voir à travers tout ce que nous érotisons et, autrement dit, tout ce qui nous attire et que nous investissons de beauté, de valeur et de signification. Éros a un frère jumeau, Antéros, qui désigne “l'amour retourné” et qui peut se mobiliser, par exemple, quand l'objet d'amour nous déçoit ou nous trahit. Quand je disais que l'idéalisation laisse toujours entendre une contrepartie de diabolisation, j'avais aussi à l'esprit que l'on ne peut pas considérer le dieu de l'amour, sans penser à l'amour retourné, son ombre et son frère. Dans le cas de Vigny, on peut ainsi dire que la Lune Noire en Capricorne mobilise Éros, tandis que le périgée en Cancer s'associe à Antéros.

Au-delà de la biographie et de l'œuvre d'Alfred de Vigny, qui ne nous aurait pas laissé ses magnifiques poèmes stoïques et qui ne nous donnerait pas autant de matière à réflexion, s'il n'avait pas érotisé massivement le Capricorne, comment peut-on envisager l'élaboration de l'axe de la Lune Noire, cette idée de travail des opposés valant de la même manière pour l'axe des nœuds lunaires ?

• La prise en compte des valeurs du périgée conduit le sujet à assouplir, à élargir sa position et, par conséquent, à relativiser ce qui relevait de l'absolu de la Lune Noire.

• Qu'est-ce qui mérite une relativisation ? Non pas le désir capricornien qui sous-tend la quête stoïque, non pas le désir lui-même qui a besoin d'être reconnu et soutenu. Le questionnement doit porter sur la mise en œuvre du désir, sur la mobilisation compulsive du sujet dans le sens d'un absolu, ce qui peut donner lieu à l'élaboration d'une philosophie qu'il juge valable pour toutes et tous. Il pourrait tout à fait s'épargner cette remise en cause, si sa démarche ne le maintenait pas immanquablement dans la souffrance, celle de se juger indigne de ce qu'il devrait être et/ou foncièrement incapable de réaliser ce qu'il devrait accomplir. On entend ainsi que la Lune Noire recouvre ce que j'appellerais une culpabilité fondamentale, un sentiment de manquement foncier à soi-même, que le Livre de la Genèse met en scène dans le récit de la chute et de la faute commise par nos premiers parents.

• Nous retrouvons maintenant la question abordée en termes généraux dans le cadre de notre introduction. Dans la perspective de l'axe de la Lune Noire, comment pouvons-nous la formuler ? De ce désir inspiré par l'apogée et qui donne des ailes à son âme, qu'est-ce que le sujet peut en vivre et de quelle manière peut-il le vivre, s’il prend en compte les valeurs recouvertes par le périgée ?

• Aux yeux de la Lune Noire, cette question est sacrilège. Si le sujet espère se libérer des mémoires de souffrance dans lesquelles il se trouve piégé, il doit cependant consentir à un sacrifice, dont l'étymologie nous rappelle qu'il désigne un acte sacré. J'insiste sur le fait que le sacrifice ne doit pas porter sur le désir lui-même, ce qui relèverait de la mutilation. Le travail de deuil s'applique à l'espoir de la coïncidence absolue entre le plan essentiel et le plan existentiel.

Dans un cas comme celui de Vigny, la prise en compte du périgée en Cancer constitue une perspective dangereuse, parce qu'elle invite à la marche à reculons, au retour vers l'enfant qui n'a jamais pu suivre l'adulte sur la voie du stoïcisme. À considérer le périgée en Cancer, le sujet ne trahirait pas l'apogée en Capricorne, mais il cesserait peu à peu de mépriser l'enfant qui pleure et il ferait rimer humanité avec humilité, plutôt qu'avec lâcheté. 

[1] Alfred DE VIGNY, Poèmes antiques et modernes, Les Destinées, Poésies Gallimard.

Suivant
Suivant

Neptune et Pluton, La force des profondeurs