NEPTUNE ET PLUTON

La force des profondeurs

4ème de couverture

Poséidon et Hadès sont frères. Ils ont en commun d’avoir établi leur royaume dans les profondeurs, celles du monde sous-marin pour le premier, et celles du monde souterrain pour le second.

Que signifient ces profondeurs ? À quoi réfèrent-elles dans l’âme humaine ? Suivant le fil de ces questions, l’auteur commence par étudier le monde des origines, tandis que Neptune était alors représenté par l’Océan primordial et Pluton par le sombre Tartare. Se référant à cette idée essentielle de Jung, — « Les images mythologiques appartiennent à la structure de l’inconscient. » — il part du récit hésodien de la création du monde pour tenter d’éclairer les fondements de Neptune et de Pluton.

 Sous quelle forme ces planètes se présentent-elles dès la naissance ? En quoi leur puissance risque-t-elle d’exercer son emprise pour générer des drames individuels et des désastres collectifs ? Comment peut-on apprivoiser Neptune et Pluton et intégrer la force des profondeurs qu’ils désignent ?  

extrait

Pluton : destin de survivant et capacité de résilience

Boris Cyrulnik raconte lui aussi que sa vocation a été déterminée par son histoire traumatisante. Il avait cinq ans, en 1942, lorsque ses parents l’ont confié à une pension pour le préserver de la déportation. Il a été recueilli ensuite à l’Assistance publique, puis par une institutrice. Il a été arrêté sur dénonciation au cours de la rafle anti-juive de janvier 1944 et il a été conduit à la grande synagogue de Bordeaux déjà noire de détenus.

Flairant le danger, il a su échapper à l’attention pour se réfugier dans les toilettes où il a réussi à se cacher sous le plafond. Les Allemands partis avec les prisonniers, il a été sauvé par une infirmière de la Croix-Rouge avant d’être placé dans une ferme sous le nom de Jean Laborde. Ses parents sont morts en déportation et il a été recueilli, après la Libération, par sa tante maternelle qui l’a élevé. C’est ainsi que s’est scellée l’incroyable histoire d’un petit garçon qui avait six ans et demi, lorsqu’il a réussi à sauver sa peau en faisant montre d’un instinct de survie qui nous laisse muets. Ce destin de survivant est tout à fait significatif de la conjonction Soleil-Pluton que l’on trouve dans le thème de Boris Cyrulnik.

Dans l’horoscope d’Élisabeth Kübler-Ross, Pluton joue également un rôle déterminant. Il participe d’un amas en Cancer avec le Soleil, la Lune et le Nœud nord. Inspiratrice de la thanatologie moderne, pionnière de l’accompagnement des personnes en fin de vie, Élisabeth Kübler-Ross est d’abord une survivante. Venue au monde à Zürich, en 1926, elle est l’aînée de triplées. Au moment de sa naissance, elle pesait à peine un kilo. À une époque où l’on ne connaissait ni couveuse ni lait maternisé, autant dire que le pronostic vital était engagé, mais la force de vie a triomphé de l’adversité. Sur une photo d’enfance, on la découvre en compagnie de ses deux sœurs : elles ont cinq ou six ans et elles semblent toutes trois débordantes de vitalité.

Dans le Tarot Zen, d’Osho Rajneesh, la lame “Le Courage” est représentée par une fleur qui a surgi miraculeusement de la fissure de la roche[1]. Cette représentation illustre avec bonheur le destin de certains Plutoniens venus au monde dans un contexte hostile, mais qui parviennent cependant, envers et contre toute attente, à trouver la voie solaire de leur propre fleurissement.

Élisabeth Kübler-Ross manifeste tôt le désir de devenir médecin et trouve un emploi dans un laboratoire afin de subvenir elle-même à ses études. Nous sommes à la fin des années 30. C’est l’époque des premiers réfugiés juifs arrivant en Suisse. Elle est chargée de les accueillir, les laver, les épouiller et les réconforter. La souffrance de ces êtres apeurés fuyant le régime nazi est sa première expérience de la détresse humaine. Elle la saisit à bras le corps sans ménager sa peine.

Engagée dans les “Peace Corps”, troupes de bénévoles dont la mission est de soutenir les populations après la libération, elle part en Pologne. Elle découvre l’horreur des camps de concentration, notamment celui de Maïdenek où étaient orientés femmes et enfants. Elle frissonne devant les amas de cheveux, de chaussures, de lunettes, par hangars entiers. Là, elle découvre sur les murs des baraquements réservés aux enfants, des dessins de papillons, symboles de trans-formation. Elle est alors persuadée que ces petits, avant de disparaître dans les chambres à gaz, avaient l’intuition qu’ils survivraient à cette horreur en accédant à un monde meilleur. Le papillon deviendra son emblème. Plus tard, elle fera souvent le parallèle entre les mourants et la chrysalide dont sort libéré le papillon[2].

Dans le thème d’Élisabeth Kübler-Ross, Mars en Bélier dessine un carré très serré avec la conjonction en Cancer entre le Soleil et Pluton. Ses sœurs racontent qu’elle n’hésitait pas à tenir tête à son entourage, quand elle estimait que sa position était juste : « Elle préférait se battre, plutôt que de renoncer[3]. » Ainsi elle était, enfant, et ainsi elle fut tout au long de sa vie. Dans le cas de cette femme hors du commun, la profonde sensibilité humaine nourrie par l’amas en Cancer et l’Ascendant en Poissons s’est doublée d’une ténacité et d’une volonté remarquables qui témoignent de l’association entre Mars et Pluton. Sa détermination, elle l’a mise au service de la dignité humaine et, en particulier, des personnes en fin de vie qu’elle a su écouter.

Installée chichement à New York avec son époux, elle est déterminée à poursuivre sa spécialité de psychiatrie. Appelée à plusieurs reprises au chevet de patients qui divaguent à l’occasion de leur agonie, elle est très vite touchée par l’abandon dans lequel vivent ces malades délaissés par une médecine toute puissante vis-à-vis de laquelle ils représentent un échec. Plutôt que de les calmer par des drogues sédatives, elle les interroge sur leurs peurs, leurs croyances et leurs attentes. Scandale ! Cette approche apparaît totalement déplacée. Il faut taire la mort, faire en sorte qu’elle survienne le plus discrètement possible afin de ne pas perturber la griserie des vivants hantés par le fantasme d’immortalité. On lui bloque l’accès des services. Qu’importe, elle y pénètre la nuit. On la surnomme “le vautour” et l’on qualifie de morbide son intérêt pour les mourants.

À Chicago, son chef de service lui confie un jour la tâche d’animer une conférence auprès des étudiants en médecine, car il doit s’absenter soudainement. Libre à elle de choisir le sujet. Elle a 24 heures pour rédiger sa conférence. Elle décide de parler de la mort à ces jeunes médecins en espérant qu’ils développeront plus tard une attitude différente de celle de leurs aînés. Se précipitant dans la bibliothèque de l’université pour consulter des ouvrages, elle réalise, hélas, qu’aucun écrit ne traite sérieusement du sujet.

Une idée germe alors soudainement dans son esprit. Elle a fait connaissance peu de temps auparavant d’une adolescente en phase terminale. Elle décide de la faire venir sur l’estrade pour relater elle-même son vécu de la maladie et son attente de la mort. Un silence glacé plane sur l’assistance durant ce témoignage ; quelques nez se vident dans un mouchoir ; une grande émotion envahit l’amphithéâtre suivie d’applaudisse-ments nourris à la fin de la conférence. Cet événement improvisé fait le tour de la ville et s’étend au-delà. Beaucoup sont choqués par la méthode ; quelques-uns saluent l’audace de ce médecin, soulignent son mérite et celui de sa jeune patiente. Bientôt, elle est désignée comme la spécialiste des malades en phase terminale[4].

“Ne jamais renoncer”, même si l’adversité est féroce. Ce motif du refus de l’abdication traverse également le livre bestseller de Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups. Dans cet ouvrage, la psychanalyste jungienne visite l’archétype de “la Femme sauvage” en faisant appel à différents mythes et contes de fées et en convoquant la figure du loup pour faire l’éloge du flair animal et du “soi instinctuel”.  

Les loups, même malades, même acculés, même seuls ou effrayés, vont de l’avant. Ils donneront toutes leurs forces pour se traîner si nécessaire d’un lieu à l’autre, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un bon endroit pour guérir et pour revivre. La nature sauvage va de l’avant. Elle persévère. Ce n'est pas quelque chose que nous faisons, mais quelque chose que nous sommes, de manière innée[5].

Comme on pouvait s’y attendre, Pluton joue un rôle déterminant dans le thème de Clarissa Pinkola Estés. La planète est en effet associée étroitement aux deux Luminaires : elle est en conjonction avec la Lune dans le signe du Lion et elle dessine une opposition avec le Soleil-Verseau.

En termes de médecine subtile, on pourrait dire que Pluton renvoie au “chakra racine” que l’on situe au niveau du coccyx. Ce noyau d’énergie renverrait à notre enracinement dans la vie à travers la connexion avec la Terre-Mère. C’est là que s’inscrirait le sentiment de confiance ou de défiance à l’égard de la vie et que s’accumuleraient aussi les mémoires ancestrales avec leur lot de drames et de catastrophes, mais aussi de lutte pour la survie. Dans l’esprit de Clarissa Pinkola Estés, on pourrait dire que le chakra de base renvoie à notre enracinement dans la nature sauvage qui nous pousse toujours à aller de l’avant. En termes astrologiques, cela revient à dire que Pluton recouvre une inépuisable volonté de vivre, même si cette force se trouve prisonnière, à des degrés divers, du sentiment d’insécurité archaïque qui la recouvre.

Dans son essai, Femmes qui courent avec les loups, la psychanalyste aborde les enjeux sous l’angle plus spécifique des rôles assignés qui enferment la Femme sauvage avec sa sagesse immémoriale, sa nature instinctuelle et sa vitalité. Comme dans ses autres publications, elle s’inscrit dans une perspective qui passe par la guérison et l’individuation, plutôt que la revendication féministe. Pour ma part, il m’arrive parfois de recommander la lecture de ce livre à des femmes dont le thème présente une dominante plutonienne.

Clarissa Pinkola Estés est moins connue auprès du grand public pour sa pratique clinique dans le cadre des situations post-traumatiques. Engagée auprès de femmes qui ont été “cassées” par la vie et qui ont besoin de retrouver en elles la force de se reconstruire, elle s'est aussi impliquée après la fusillade d’avril 1999, dans un lycée du Colorado, lorsque deux adolescents perpétrèrent un massacre avec des armes à feu. Elle s’engagea alors dans un travail clinique de plus de trois ans dans l'enceinte de l'établissement. Elle a également travaillé avec des familles de survivants de l'attentat du 11 septembre 2001.


[1] Osho Zen Tarot, Le jeu transcendantal du Zen, AGM Urania.

[2] Site Élisabeth Kübler-Ross France, https://www.ekr-france.fr

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Clarissa Pinkola ESTÉS, Femmes qui courent avec les loups, Le Livre de Poche.

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