SATURNE
La capacité de solitude
4ème de couverture
Dans la mythologie, on voit d'abord Cronos mettre fin au règne de Gaïa et d'Ouranos avant de devenir lui-même le nouveau maître du monde divin. Devenu père, il avale un à un ses enfants nouveau-nés, mais on comprend qu'il ne les retient pas en vain dans son ventre. Lorsqu’il les régurgite enfin, ses fils et ses filles sont en effet prêts à exercer leur souveraineté sur le monde qui leur est dévolu.
Partant des grands motifs qui constituent le mythe de Cronos, l’auteur commence par explorer l’archétype de Saturne dans la perspective de l’astrologie et de la psychanalyse. Il étudie ensuite le rôle et la fonction tenus par la planète selon la position qu'elle occupe dans les douze signes du Zodiaque. Il questionne enfin les enjeux qu'elle nous soumet au cours de son transit à travers les maisons du thème de naissance.
extrait : Le transit de Saturne à l’Ascendant et en maison I
Le passage de Saturne sur l’Ascendant marque le début d’un cycle qui va se dérouler sur une trentaine d’années et il mérite une attention toute particulière. À l’occasion de ce transit, la planète prend un rôle privilégié de guide psychique, les repères d’interprétation que nous venons d’établir valant ici pour l’ensemble des enjeux qui peuvent se poser au cours de cette période.
Le passage de Saturne à l’Ascendant nous soumettant, plus que tout autre, au défi de nous tenir debout par nous-mêmes, il convient de garder toujours à l’esprit l’importance de cette épreuve, quelles que soient, par ailleurs, les questions spécifiques que nous avons à traiter au cours de ce transit. L’idée de compter sur soi doit évidemment être adaptée à l’âge et à la situation singulière du sujet, mais si l’on est appelé, dans le cadre de la maison I, à se positionner de manière verticale, c’est afin d’assumer une meilleure gouverne de sa propre existence en apprenant à se déterminer par soi-même.
Ce transit pose, par excellence, un défi de solitude. À ce titre, on peut dire que l’on fait honneur à la visite de Saturne en maison I en cherchant à devenir, soi-même, le Père de sa propre existence. Plusieurs mots qui commencent par le préfixe auto prennent désormais un relief saisissant et le sujet gagne à s’y référer, parce qu’ils désignent des qualités qu’il a besoin de développer.
– L’automobiliste, au sens littéral de la personne qui se conduit en fonction de ses propres mobiles et qui assume, en d’autres termes, la responsabilité de son existence.
– L’autonomie, au sens étymologique que nous avons déjà souligné, ou l’autodétermination.
– Quant au mot autorité et à ses dérivés, autoriser et autorisation, ils sont constitués de la même racine que celui d’auteur. Pour que ces termes s’associent de manière juste, Saturne doit rester toutefois à sa place de satellite, à l’instar de chaque planète, d’ailleurs. C’est dans la mesure où nous reconnaissons au Soleil son statut d’auteur et que nous nous subordonnons à sa gouverne centrale, que Saturne peut nous permettre d’exercer une autorité authentique. Je ne pense pas forcément à la personne qui serait appelée à assumer une responsabilité à l’égard d’un collectif, mais je veux dire, avant tout, que ce transit nous appelle à gagner en autorité, là où notre existence resterait sous quelque influence, et il faudrait être aussi aveugle que présomptueux pour prétendre que l’on en serait tout à fait exempt.
Ces quelques repères étant établis, il nous reste à les appliquer en tenant compte du contexte thématique global, d’une part, et des questions singulières qui se posent au sujet, d’autre part. Au moment où Saturne s’invite, et il s’impose avec d’autant plus de force qu’il prend ses quartiers dans la maison I, le sujet est censé faire honneur à son hôte. Cette formulation laisse aussitôt entendre que le transit vient questionner le type de relation que nous avons avec le dieu et que la qualité de la cohabitation va dépendre de nos dispositions à son égard et, autrement dit, du degré d’intégration de ce qu’il représente.
Comme point zodiacal qui se lève et qui passe, autrement dit, de l’invisible au visible, l’Ascendant met en effet en jeu notre propre capacité à émerger de l’indifférencié, à travers un processus où nous sommes appelés à révéler progressivement notre qualité de sujet. Dans le cas d’une personne qui redoute Saturne, à l’instar des jeunes Cronides qui n’osent pas accéder à leur propre autorité, le passage de la planète sur l’angle oriental du thème de naissance peut recouvrir une mise à l’épreuve cruciale.
Celle-ci peut se présenter dans un cadre qui ne relève pas, a priori, de la maison I ; elle peut s’imposer, par exemple, dans un contexte de crise d’ordre familial ou professionnel. Dans tous les cas, il conviendra aussi de considérer ces difficultés sous l’angle spécifique de la personne qui peine à assumer l’autorité de Saturne. Quelque visage qu’elle prenne, l’adversité met désormais à l’épreuve du redressement et il revient au sujet de chercher les ressources internes et les soutiens externes qui lui permettront de se situer plus fermement, à une époque où il a besoin de s’inspirer du dieu et de le reconnaître comme guide privilégié. Nul ne saurait toutefois prendre pour modèle une divinité planétaire dont il ne comprend pas la valeur. Le cas échéant, il peut appartenir à l’astrologue de souligner l’importance de Saturne et de montrer le rôle crucial qu’il est appelé à jouer tout au long de son transit à travers la maison I.
Lorsque le sujet est affligé d’un complexe paternel destructeur, le passage de Saturne à l’Ascendant peut constituer un rendez-vous crucial avec le prédateur psychique. Une de mes clientes a entrepris un travail analytique à l’époque où la planète traversait la maison I. Quelques mois plus tôt, elle avait quitté son poste de salariée pour un statut d’indépendante auquel elle se préparait depuis longtemps. À ce titre de concrétisation, elle avait fait honneur à l’arrivée du dieu en maison I, le fait de mettre au monde, au sens de l’Ascendant, et de donner une forme à un projet pouvant compter parmi les enjeux significatifs de ce transit de Saturne. Passé une courte période où l’enthousiasme avait réussi à maintenir les doutes et la peur à distance, le sentiment d’illégitimité avait ressurgi avec une intensité incroyable. Cette femme craignait de ne pas pouvoir mener à bien ce qu’elle avait entrepris ; elle était même hantée par l’angoisse de tout voir s’écrouler et elle se décida à demander de l’aide.
L’image du “désherbant” lui est venue à l’esprit, un jour qu’elle parlait de son père. Que voulait-elle dire, sinon que celui-ci ne pouvait pas faire autrement que de dénigrer ses entreprises et désavouer ses projets de façon systématique ? Les jeunes pousses se trouvaient ainsi détruites, à la racine, par l’herbicide paternel. Pendant des mois, nous nous sommes employés à en dénouer l’efficace. À la première difficulté venue, l’imaginaire s’emballait en effet pour la convaincre de son incapacité à tenir la route, tandis que le prédateur psychique s‘emparait de tout et de rien pour lui rappeler que l’oracle n’allait pas tarder à s’accomplir.
En constituant sa propre entreprise, cette femme s’était donné une autorisation ô combien significative, mais elle était bien loin de s’être affranchie de l’ogre saturnien. Tant qu’elle obéissait à la logique prédatrice, elle était préservée, sinon de la peur elle-même, en tout cas de celle qui a fait effraction, quand elle s’est trouvée à la tête de sa propre affaire. Dans un tel cas, le sujet peut être livré à une telle confusion d’esprit, qu’il va jusqu’à remettre en cause le bien-fondé de ses entreprises. À y succomber, cette femme aurait été une nouvelle fois victime de ce qu’elle a appelé le désherbant paternel. S’agissant de l’aspect prédateur de Saturne, elle lui aurait donné pleinement droit, parce qu’elle aurait cédé à l’idée qu’il n’y a pas de légitimité qui tienne, hors le cadre fixé par le terrible Cronos.
Du point de vue d’une astrologie de type archétypal, la confrontation avec l’herbicide paternel est certes nécessaire, mais on ne saurait s’y cantonner, parce que le sujet doit s’expliquer, en dernier ressort, avec Saturne lui-même, afin de se dégager de son emprise et de se constituer dans sa propre autorité. Le pouvoir attribué au dieu, le sujet est appelé à l’intégrer avec tout ce que cela suppose, bien entendu, en termes de différenciation.
Le passage de Saturne à l’Ascendant constitue toujours un rendez-vous décisif, parce que le dieu s’invite dans une maison où nous sommes appelés à nous définir et à nous orienter en tant que sujet. Il peut y entrer les bras chargés de présents, au sens des ressources que nous avons intégrées dans l’ordre de Saturne. Aux yeux de ma cliente, il ne se présentait pas du tout comme le visiteur bienvenu, mais comme l’hôte menaçant qui prétend prendre possession de la maison I en imposant ses propres vues destructrices. Dans tous les cas, la qualité de ce transit est d’abord conditionnée, nous l’avons dit, par le type de relation que nous avons tissée avec la planète. Elle dépend également de ce qui a été élaboré, ou non, au cours de la phase précédente, tandis que Saturne traversait la maison XII, et nous aurons l’occasion d’en parler, quand nous aborderons cette dernière étape du cycle.
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